36% des jeunes de 15-24 ans auraient déjà pratiqué la « bifle » selon
un sondage publié la semaine dernière par l’Ifop, à propos de la génération « YouPorn ».
Une capture d’écran du sondage Ifop pour Cam4 (DR)
« Contraction des mots “ bite ” et “ gifle ”, ce terme poétique et fleuri désigne une pratique qui consiste à gifler son (ou sa) partenaire avec sa bite, ou du moins à imprimer un mouvement de tamponnage sur la joue avec le gland. »
Camille l’écrit avec un seul « f », car dans « gifler » il n y a un « f », mais dans un e-mail, le webmaster de
la-biffle.com (oui, ça existe) m’écrit :
« Le doublement du “f” est là pour caractériser la vitesse d’exécution. »
« Et la bifle lente et douce ? »
Une vraie « biffle » siffle. Quand j’ai dit ça à Camille, sa réaction ne s’est pas faite attendre :
« N’importe quoi ! Et la bifle lente et douce, alors ? Elle, elle n’a droit qu’à un seul “f” ? »
Biffle ou Bifle, on pourra ajouter que la définition la plus drôle restera probablement à jamais celle de Françoise Mougin, du Comité national contre le bizutage. Elle avait eu ces mots qui avaient fait rire les Internets :
« Alors la bifle, qu’est ce que c’est, c’est gifler une fille avec sa bite. Voilà. C’est pas très convivial. Enfin comme accueil, on a vu mieux. »
Si vous avez besoin de voir comment ça « se passe » concrètement, vous pouvez aussi toujours regarder cette animation parodique. Une femme au mini cerveau (misogynie !) reçoit une « bifle » d’un homme en érection et dont le cerveau est placé dans les testicules (misandrie !).
Et si vous avez plutôt besoin d’images bien réelles, on vous laisse la responsabilité de
cliquer ici.
Le mot a-t-il toujours existé ?
Je ne vous cacherai pas que j’ai eu, en découvrant, l’étude de l’Ifop, des réserves. D’abord, elle établissait des liens directs entre consommation de porno et réalisation de pratiques sexuelles. Or, le lien à établir entre les deux est tout de même compliqué. C’est un peu un
marronnier en matière de sexualité. Le porno influence-t-il nos comportements ? Le porno incite-t-il à du sexisme dans la vraie vie ? Le porno rend-il violent les jeunes ?
Le journaliste Xavier Molénat avait très bien montré que « le lien ne va pas de soi » entre violence et pornographie dans
un article pour Sciences humaines, publié en 2011.
« Si ces enquêtes prouvant l’influence néfaste de la pornographie sont légion, un certain nombre de recherches les contredisent, si bien qu’il est difficile de conclure quoi que soit sur la question. [...]
Les effets de la pornographie sur les enfants, sujet vendeur s’il en est, sont encore moins biens cernés puisque, pour des raisons déontologiques évidentes, on répugne à soumettre, pour le bien de la science, des mineurs à des représentations sexuelles explicites... »
Au delà de ces considérations, on peut s’interroger sur le mot « bifle » et la pratique en elle-même. Voilà quelques temps que ce terme circule. On l’entend dans les dîners entre copains, on voit des blagues par-ci, par-là. Ce mot a-t-il toujours existé ?
« Horriblement cruel et méchant »
En faisant des recherches sur Internet, on tombe d’abord sur un pilote de course américain :
Greg Biffle. On espère pour lui qu’il ne parle pas le français et qu’il ne lira pas cet article.
Ensuite, le mot-valise ne semble pas présent dans nos vies depuis une éternité. Sur cette courbe réalisée avec Google Trends, on voit comment il se développe vraiment à partir de 2009.
UN GRAPHIQUE DESSINANT L’ÉVOLUTION DES RECHERCHES DU MOT « BIFFLE », EN FRANCE.
Une des plus vielles occurrence que je trouve pour ma part date de 2008. On la trouve dans un échange de haute volée
sur un forum de jeux vidéo.
Un internaute dénommé iPodMini dit :
« Youp ! Petit sondage sérieux, je rappelle qu’une biffle = zizi + giffle. Personnellement je trouve ça horriblement cruel et méchant, mais qu’est-ce que c’est bon. Et vous ? »
Tandis que La_forme_Roger répond :
« C’est le zizi qui reçoit la gifle ou c’est lui qui la donne ? »
Et qu’enfin iPodMini répond :
« C’est lui qui la donne. »
Une blague, comme le « tea bagging »
Au téléphone, Stephen des Aulnois, créateur du
Tag Parfait, site sur la culture porn, considère surtout ce mot comme « une blague » du même acabit que le « tea bagging ». En anglais, les « tea bags » sont des sachets de thé. L’acte consiste donc à poser ses testicules dans la bouche d’une autre personne :
« Ce sont des conneries de dortoir, quand t’es bourré. De là à aller en faire une pratique sexuelle... »
Le webmaster de la-biffle.com (un site clairement potache), m’écrit « avoir été aussi surpris par l’ampleur qu’à pu prendre le terme ».
« Pour ma part j’ai entendu parler la première fois de biffle ou de pichade (terme utilisé par les amateurs de rugby apparemment) il y a environ 4-5 ans. C’était principalement sur le ton de plaisanterie. Ça faisait souvent référence à des histoires de bizutage ... C’est le coté humour qui m’a donné envie de créer ces quelques pages.. »
Sur son site, il donne les dix commandements de la « bifle ». Avec par exemple :
« Les femmes peuvent biffler, elles doivent alors avoir recours à des accessoires type bite en plastique pour biffler leur homme. »
« Tu ne biffleras jamais par surprise. »
36% ? « C’est beaucoup trop »
Pour Stephen des Aulnois, un court métrage a fini de rendre populaire le mot qui fait rire. Sorti en 2012, la « bifle » est une comédie. Sur Allociné, le pitch
annonce :
« Francis est patron d’un vidéoclub qui doit son succès aux films de Ti-Kong, star de kung-fu. Complexé par sa bite, il n’arrive pas à avouer ses sentiments à Sonia, son employée… »
Stephen des Aulnois parle de la mode de la bifle en disant que :
« C’est lié à la culture web, à la culture pop, c’est populaire chez les 18-25 ans. C’est un mot que les parents ne peuvent pas comprendre. »
De là à dire que c’est une pratique courante dans les lits de la jeunesse française... Il n’y croit pas une minute.
« Quand j’ai vu le chiffre de l’enquête de l’Ifop “36%”, je me suis dit, c’est beaucoup trop ! Du coup j’ai regardé la question posée aux sondés... »
Les questions étaient en effet :
- « Vous avez caressé ou frotté la joue de votre partenaire avec votre sexe (“ biffle ”) » ;
- ou « Votre partenaire a caressé ou frotté votre joue avec son sexe (“ biffle ”) ». »
On reconnaîtra qu’on est loin de la claque d’un sexe en érection contre une joue. Un sexe qui se balade sur un visage, ça arrive, a priori, plus souvent.
« En tapant l’objet du délit »
De là à demander son ou sa partenaire « Je peux te bifler, s’il te plaît ? » ou à l’inverse « Vas-y bifle-moi fort, maintenant ! », c’est une autre affaire. Comme « ça n’est pas très convivial », c’est difficile à accepter sans sourciller pour le receveur. Camille cite une personne à qui c’est arrivé :
« Lorsqu’il m’a biflée, j’ai été prise d’une crise de rire terrible. »
Tandis que sur le blog Sexactu, Maïa Mazaurette
écrivait en avril 2009 :
« Aucun mec n’a jamais tenté de m’infliger la chose [...]. Si ça arrivait, je me verrais dans l’obligation de signifier avec véhémence ma contrariété.
En tapant l’objet du délit, par exemple (le SM aussi est un jeu, et ça se fait, si si). Règle de savoir-vivre du jour : il en est de la bifle comme de la sodomie – on ne pratique jamais par surprise, on demande la permission avant. »
Voilà pour nos lits.
« C’est ma copine qui m’a appris le terme »
Il a vu 1 813 films de 1918 à nos jours, il était donc tout à fait indiqué. D’emblée il avoue :
« Moi, je ne connaissais pas ce terme, c’est ma copine qui me l’a appris. »
Puis il raconte, avec cette élégance qui est la sienne et qu’il ne perd jamais même quand il parle de « bifle » :
« Dans le cinéma porno, on voit souvent un sexe qui rebondit sur une joue, au moment de la fellation. »
Pour lui, la « bifle » se développe dans le porno dans les années 80-90. Pas avant. C’eût été possible puisque dit-il : « L’uro [urophilie, ndlr] existe depuis toujours dans le porno. » Il repense à
Gabriel Pontello un acteur qui a débuté en 1975, et qui a avait pour habitude de « bifler ses partenaires » et de les « malmener ».
Pour expliquer ce développement de la pratique dans le porno, Christophe Bier l’attribue à de la « surenchère » :
« Les gens lassés par la fellation simple et seule avaient besoin de quelque chose d’autre. Dans les années 80-90 la pipe est devenue de plus en plus graphique. »
Désormais, les sexes masculins éjaculent sur les visages féminins (ou masculins d’ailleurs) ; ils impriment leur empreinte dans le creux de la joue (« La fille prend le sexe de travers », détaille-t-il) ; et ils biflent, donc.
Alors, la bifle existe-t-elle ?
Pour répondre à la question du titre, donc, « la bifle existe-t-elle ? », on peut dire que :
- le mot existe ;
- la blague existe ;
- la pratique existe dans les films porno ;
- dans la vraie vie, c’est plus flou.
Mais est-ce qu’à force d’exister, sous forme de blague, le mot ne va pas devenir performatif et généraliser une pratique a priori marginale ? Ce serait alors un bien bel objet d’étude pour les linguistes...