Avant, il y avait le premier degré, le second degré, le 36e dans les cas extrêmes.
On savait lequel manier avec quelle personne, on s’adaptait. C’était simple.
Aujourd’hui, il y a le degré de la personne qui dit son truc, et celui de chacune des personnes qui va le recevoir, derrière son écran généralement. C’est imprévisible, ingérable.
Et comme la formule, le « bon mot » est (re)devenu une norme sociale – dans toutes les strates de la société, d’ailleurs–, on doit maintenant composer avec le premier degré du second degré, le 3e degré du deuxième degré, sans oublier les mots-codes de la connivence, de l’entre-soi, et encore le sous-texte, le « in quotes », le « J’dis ça mais j’dis rien… » et autres dentelles qui ajoutent encore au bordel. Vous avez dit délétère ?
Ah oui, il y a aussi les innombrables malentendus de ces mots propulsés sur les écrans et privés du ton, de l’expression, du mouvement qui pourraient, devraient signifier leur véritable intention.
J’ai toujours aimé le second degré
J’ai toujours aimé le second degré en tant que bonne distance. C’est l’esprit dans toute sa souplesse, le léger pas de côté qui donne une fraîche impulsion à la pensée. Mais je me pose des questions sur sa fragilité, sa capacité à survivre dans le flot tumultueux de mots et d’images.
Je ne cherche pas à démontrer quoi que ce soit. Pour tout avouer, je ne sais même pas où mène cette réflexion !
J’écris tout ça simplement parce que j’ai cherché à comprendre la nature de ma réaction en voyant cette affiche ci-contre, et mon hésitation à la poster sur Facebook. Je l’ai trouvée violente, drôle, habile dans la dérision. Intrigante, avec ce côté non identifié, de pure provocation mais ciblée quand même (elle était collée devant l’immeuble du « Monde »).
J’ai contacté sur Twitter l’auteur du blog « Paye ta Shnek », Anaïs Bourdet, qui me répond : « Je découvre cette affiche. PTS ne donne pas dans ce registre… »
C’est bien la question : quel registre ? Le blog « Paye ta Shnek » publie des remarques qu’on lui envoie de partout, par exemple : « Hé mademoiselle vous ressemblez à Barbie. Hé ho ! C’est un compliment, salope ! »
Les phrases ont écrites de façon brute, mais en rose. On est dans un registre de connivence avec les lecteurs/lectrices du blog. Pour les plus hermétiques, le second degré s’impose par effet d’accumulation.
Sortir de mon petit carré intellectuel
Avec cette affichette, je ne sais pas quelle est l’intention des auteurs (clairement anti-bobos parisiens, mais ça ne m’étonnerait pas qu’ils le soient eux-mêmes). Quand je la vois, j’ai un petit malaise, mais j’apprécie son esprit vicieusement drôle.
J’aime bien les choses comme celle-ci qui me poussent à sortir de mon petit pré carré intellectuel habituel. Mais à grande échelle, je n’aime pas penser que ce flou, cette non-maîtrise sur le degré où les uns et les autres s’expriment, abîme la communication au lieu de la faciliter.